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Entretien avec le Pr. Philippe Mary sur l'importance de mécanismes de prévention de la torture

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Le 11 décembre 2018, Fedactio s’est entretenu avec le Pr. Philippe Mary, membre du CPT et professeur de criminologie à l’ULB, sur l'importance de mécanismes de prévention de la torture.
Propos recueillis par Alexandre Thiry et Esa Denaux
Monsieur Philippe Mary bonjour et merci de nous recevoir, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bonjour, je m’appelle Philippe Mary, je suis à titre principal professeur de criminologie à l’Université Libre de Bruxelles, et à titre secondaire, membre pour la Belgique du Comité européen de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT).


Quels sont les objectifs poursuivis par le CPT ?


Le CPT a été créé il y a 30 ans, en partant du constat qu’il y avait au niveau européen des voies de recours contre la torture et les mauvais traitements. (art. 3 de la Convention européenne des droits de l’homme : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ») via la Cour européenne des droits de l’homme, mais qu’il manquait un mécanisme de prévention. Le CPT a donc pour mission la prévention, c’est-à-dire essayer d’agir essentiellement sur les conditions dans lesquels sont traitées les personnes privées de liberté, à quelque titre que ce soit, sur tout le territoire du Conseil de l’Europe. Géographiquement cela implique un territoire très étendu, qui va de la Sibérie à la Guyane. Le cadre du Conseil de l’Europe, n’est pas restreint à l’Union européenne, nous travaillons ici avec 47 Etats membres en ce compris la Russie, la Turquie, l’Azerbaïdjan, des pays qui peuvent parfois paraître plus exotiques à nos yeux européens. La question des personnes privées de liberté se pose en tout contexte, ça veut dire que le CPT est compétent aussi bien pour la privation de liberté par la police, dans les prisons, dans les centres pour étrangers, dans les centres pour mineurs, dans les hôpitaux psychiatriques, et même dans les foyers sociaux où se trouvent des personnes âgées ou des personnes atteintes de maladies mentales et qui de fait ne peuvent pas quitter l’endroit librement. Notre terrain géographique est donc très large, mais notre terrain institutionnel l’est tout autant.
La prévention se base sur deux grands principes : d’abord celui de coopération, nous collaborons avec tous les Etats, et ne sommes pas là pour les condamner contrairement à la CEDH. L’autre grand principe c’est celui de la confidentialité. L’activité principale du CPT est d’envoyer des délégations de membres, parfois d’experts également, dans un pays soit pour une visite périodique (+- tous les 4 ans), soit pour une visite ad hoc justifiée, motivée par des circonstances particulières. Par exemple, durant la longue grève des prisons en Belgique, nous avons organisé une visite ad hoc pour voir dans quelles conditions étaient maintenus les détenus (bien que ce n’était pas l’objet principal de la visite). Après une visite, nous adressons un rapport au gouvernement concerné, d’abord oralement à son représentant, généralement le ministre de la Justice ou de la Santé, afin de donner un premier feed-back, et parfois même pour exiger la fermeture immédiate de certains lieux, lorsque les conditions de détention paraissent inacceptables. Ensuite nous produisons un rapport écrit, adopté en assemblée plénière du CPT, et qui est transmis au gouvernement de manière confidentielle. Donc si vous me posez des questions sur la dernière visite que j’ai effectuée je ne vous dirai rien. Je ne peux vous donner qu'une information publique : les lieux visités. Je reviens de France où nous avons visité le centre de rétention administrative de Marseille, mais je ne vais pas vous dire ce qui a été constaté, ni ce dont nous avons discuté avec les personnes rencontrées. Après rédaction et adoption de notre rapport en plénière encore faut-il que le gouvernement français accepte qu’il soit publié. C’est plus ou moins la norme, plus de 90% des rapports sont rendus publics avec l’accord des Etats. Les réponses des Etats sont elles aussi publiées, il y a donc une assez grande transparence. Cependant il y a des Etats plus réticents que d’autres, comme par exemple la Russie, plus grand pays du Conseil de l’Europe, qui est très réticente à ce que ses rapports soient publiés.
Malgré tout ils sont publiés dans l’ensemble, ce qui nous permet de livrer une information pertinente au grand public ou à la CEDH. Cette dernière se base de plus en plus sur nos rapports, pour lorsqu’elle est saisie d’un cas, nos constats sur le terrain lui permettent de confirmer les dires d’un justiciable. Nos rapports ont donc une incidence directe sur la jurisprudence de la Cour dans certains cas.

Quelle est votre rapport au pouvoir politique, et pourquoi est-ce important d’avoir un comité indépendant ?

Nous sommes les seuls en Europe à avoir accès à tous les lieux de privation de liberté sans conditions, à accéder à toutes les personnes sans témoins, et à pouvoir accéder à tous les documents sans restrictions. Pour arriver à cela il faut l’accord des Etats, d’où les principes de coopération et de confidentialité. Résultat : nous sommes par exemple les seuls à rendre visite à monsieur Abdullah Öcalan, le leader du PKK, incarcéré en isolement sur une île et qui n’a plus vu d’avocats depuis des années. Mais pour arriver à cela, il faut évidemment que les États et nous-mêmes restions fidèles et loyaux à la Convention. De manière plus générale, l’indépendance est évidemment cruciale, car on imagine mal un comité de contrôle qui soit dépendant d’un pouvoir politique d’une manière ou d’une autre. Il en est de même pour tous les mécanismes de surveillance. Par exemple ceux qui sont mis en place au niveau des Nations Unies à travers le protocole additionnel de la convention des Nations Unies contre la torture, qui prévoit la mise en place de mécanismes nationaux de prévention. La Belgique n’a pas encore signé, ni mis en place ce protocole, mais tous ces mécanismes doivent évidemment être indépendants. Si on les fait dépendre de l’administration pénitentiaire, si l’employeur est le contrôleur, eh bien on imagine aisément les difficultés que cela peut poser. Prenons l’exemple du service minimum en Belgique, puisque la Belgique a fait l’objet d’une déclaration publique du CPT à cet égard, mais je pourrais multiplier les exemples. Lorsque le CPT a des entretiens à haut niveau, c’est une petite délégation (président, secrétaire exécutif, …) qui va rencontrer tel ministre et ces entretiens ne sortent pas de l’enceinte du CPT. Au niveau de l’indépendance, une des règles est que le membre national n’intervient jamais sur son propre pays, il ne peut ni participer à une visite dans son propre pays, ni intervenir dans une discussion en séance plénière à ce sujet. Et cela précisément pour qu’il n’y ai aucun doute sur l’indépendance du comité. Enfin dans un contexte éloigné du notre, pour des raisons de sécurité, pour s’assurer que la personne ne risque pas des représailles.

Quelle sont les plus grandes difficultés que vous rencontrez dans votre travail ?

La première difficulté c’est peut-être que les visites du CPT sont généralement assez dures sur le plan humain, les réalités que l’on rencontre du matin au soir durant notre visite sont parfois très éprouvantes. Je pense que tout le monde pourra imaginer ce que peut être une prison turque dans l’est de la Turquie après le coup d’État ; des cellules surpeuplées, des gens qui ont été arrêtés et prétendent l’avoir été sans motif... Nous ne faisons pas de tourisme carcéral, notre travail est assez dur mais nécessaire. Mais la plus grande difficulté, c’est d’être assuré d’avoir une influence sur les États. Comme les États signent librement ce type de convention, ils ne vont pas accepter de trop se contraindre. L’arme absolue du CPT reste une déclaration publique. Lorsqu’un État refuse de collaborer, lorsque par exemple pendant 20 ans le CPT visite un pays et lui répète constamment vous devez faire ceci ou cela, mais que le pays refuse, nous faisons une déclaration publique. C’est une sorte de communiqué de presse, qui sort parfois au bon moment, qui est parfois relayé par la presse nationale, mais parfois pas, et qui est finalement une sorte de gros doigt pointé sur un pays, sans qu’il n’y ait d’autres pressions que morales. Un tel contexte nécessite pas mal de diplomatie de la part des personnes qui participent aux entretiens de haut niveau auxquels je faisais référence. Il est parfois très compliqué d’avoir de l’influence sur une situation que l’on juge problématique quant au respect des droits humains, et plus particulièrement par rapport à l’article 3 de la Convention quant à l’interdiction de la torture et de traitants inhumains et dégradants.

Qu’appelez-vous les pouvoir public à faire en Belgique ?

C’est une question à laquelle je ne devrais normalement pas répondre, puisque justement je ne suis pas censé intervenir pour mon propre pays. Vous me permettrez donc de changer de casquette, et de ne plus parler en tant que membre du CPT mais en tant que professeur d’université. Plusieurs problèmes se sont posés en Belgique. Premièrement le problème de surpopulation carcérale qui est de notoriété publique. Malgré les efforts qui ont été fait lors de cette législature, il y a toujours un sérieux problème de place dans pas mal d’établissements, en particulier dans les maisons d’arrêt. Deuxièmement, le fameux service minimum : l’obligation pour les syndicats de prester un certain nombre de services lorsqu’ils se mettent en grève. Rappelons qu’il s’agit d’une situation très particulière, encore plus particulière que pour les hôpitaux, puisqu’en prison les détenus sont complètement dépendants du personnel. Alors que dans les hôpitaux la famille pourrait amener à manger, ce n’est pas le cas dans les prisons, et donc les risques que l’on court en terme de traitement inhumains et dégradants sont encore plus grands. Voilà un des problèmes qui doit être géré en Belgique. Enfin pour prendre un troisième exemple, le problème de l’internement des malades mentaux délinquants et la manière dont ils sont pris en charge après avoir été déclaré irresponsables et internés. C’est un vieux problème qui remonte à 1930 et il y a eu sous cette législature, des tentatives réelles et prometteuses d’amélioration de cette situation qui était tout à fait épouvantable. Pour les cas de surpopulation et le traitement des malades mentaux délinquants, ce sont des difficultés qui sont très largement rencontrées dans d’autres États membres du Conseil de l’Europe, nous ne sommes pas de ce point de vue là un cas isolé, loin de là.

Monsieur Mary, merci pour le temps accordé et la qualité de cet entretien.

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