La justice sociale est un principe fondé sur l’égalité des droits entre individus et la possibilité pour tous de bénéficier du progrès économique et social. Promouvoir la justice sociale ne consiste pas simplement à augmenter les revenus et à créer des emplois, mais à garantir les droits fondamentaux et la dignité de tout individu. En tant que Fedactio nous œuvrons pour la justice sociale lorsque nous luttons contre le sansabrisme, les discriminations envers les migrants, les inégalités de genre, ou pour l'accès à un enseignement de qualité. Chaque fois que nous enlevons un obstacle liés au genre, à l’appartenance ethnique, à la religion, ou à l'orientation sexuelle. nous œuvrons pour la justice sociale.
En Belgique selon les dernières études, 48% des travailleurs belges n'ont pas les moyens d'épargner à la fin du mois et 5,2% des Belges vivent sous le seuil de pauvreté malgré un emploi. Au niveau mondial, 20% des travailleurs vivent toujours dans la pauvreté et ne bénéficient pas des fruits de la croissance économique. Toutes ces inégalités empêchent les gens de réaliser leur plein potentiel et de sortir de la précarité, c'est pourquoi il est urgent d'agir. L'Organisation Internationale du Travail rappelait dans ses principes fondamentaux qu'il ne saurait y avoir une paix universelle et durable que fondée sur la base de la justice sociale, et qu'elle ne pourrait avoir lieu sans un traitement décent des travailleurs. En tant que Fedactio nous estimons que la seule façon de parvenir à la justice et à la cohésion sociale, c’est de remettre l'humain au centre des politiques économiques, sociales et environnementales.
Dans le cadre de la Journée mondiale de la justice sociale, nous nous sommes entretenus avec une série d'acteurs académiques ou associatifs. Cette première interview donne la parole à Mme Pascale Jamoulle, docteur en anthropologie et chargée de cours à l'université (UCL et UMONS).
Propos recueillis par Abdussamed Ozyurt
Mme Jamoulle bonjour, merci de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous, pour commencer, vous présenter en quelques mots et nous parler de votre parcours académique ainsi que de vos travaux de recherche ?
J’ai d'abord fait des études d'assistante sociale avant de travailler à l'école Decroly en tant qu'assistante sociale. J'ai ensuite repris des études en philo et lettres romanes. Et j'ai travaillé plusieurs années comme enseignante de français avec des personnes en pré-formation issues de l’immigration, et de l'immigration italienne en particulier. Et c'est suite à ce travail-là que j'ai commencé à publier des articles, des livres sur la question de l'interculturalité, et que j'ai commencé à faire de la recherche. J'ai travaillé avec les populations toxicomanes sur la question de la réduction des risques et la question de la sortie de drogues. J’ai ensuite fait de l'anthropologie et travaillé sur les questions des femmes et des logements sociaux, puis sur la question de la départenalisation en milieu populaire, ce qui a donné lieu à ma thèse de doctorat et puis un travail sur les questions de genre et de migrations, d'exil et de précarité.
À l'heure actuelle, nous entendons beaucoup parlé de justice sociale dans le débat publique, qu'évoque ce terme pour vous ?
C'est pour moi l'inverse de la souffrance sociale. La justice sociale permet des rapports démocratiques entre individus, tant au niveau de l'accès aux ressources, qu’à l'éducation ou à la culture ; elle permet la démocratie entre les sexes et de la décolonisation des esprits. C'est à ce niveau que ce joue l'équité sociale.
Quand on parle de justice sociale, s’agit-il d’un positionnement moral ou bien existe-t-il des indicateurs nous permettant de l’objectiver ?
Les premiers indicateurs que j’observe ce sont les populations de rues. Quand les populations de rues augmentent, c'est que la justice sociale ne fonctionne pas. C'est qu'il y a des trous dans la sécurité sociale, dans les solidarisations et dans la démocratie. Or c'est le cas aujourd'hui.
C’est donc le terrain qui permet d’identifier les difficultés sociales ?
Oui. Aujourd'hui à Bruxelles et un peu partout ailleurs, les populations de rue débordent. C'est le premier indicateur pour un ethnographe des rapports socio-économiques que l'insertion sociale ne fonctionne plus pour une partie importante de la population. En ce qui concerne les rapports de genre, un des premiers indicateurs va être la construction dans les quartiers de relations apaisées ou de tensions de genre. Ensuite l'explosion des violences conjugales et intrafamiliales, ou la construction de familles apaisés. Au niveau culturel ce sera les questions de discrimination et de racisme d'un côté, et les questions d'interculturalité et de décolonisation des esprits de l'autre.
Selon vous la montée des mouvements populistes et d’extrême-droite un peu partout dans le monde est-elle la corollaire des inégalités sociales ?
Oui mais pas que, c'est aussi les conséquences des modèles ultra-libéraux et de la mondialisation. Et au-delà des inégalités sociales, il y a les inégalités de genre et de race. Je pense que toutes les formes de replis et de passéisme, sont des réactions à l'angoisse et la peur de ne pas avoir sa place dans le monde. C’est ce qui pousse les individus à se replier sur leur communauté uniquement.
Nous vivons dans une société de plus en plus clivée sur les questions socio-économiques, les mouvements de contestations sont-ils l’expression d’une certaine frustration ?
Je crois qu’une part grandissante de la population a une colère légitime, des mouvements comme les gilets jaunes en sont un mode d'expression, mais il y en a d'autres comme les émeutes urbaines par exemple. Il y a aussi des mouvements alternatifs dynamiques où la colère est convertie en projet de société, mais ce n’est pas toujours le cas. C'est clair que le sentiment d'être écrasé et isolé, sans cercle, est un sentiment qu'ont de plus en plus de gens. Les frustrations sont immenses et par moments débordent.
Peut-on parler de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale en Belgique ? Si oui, est-elle efficace ?
Si elle était efficace, ça se saurait (rire). Le seuil de pauvreté est toujours fixé à +- 1.100 EUR et le taux de populations qui vivent en dessous varie de 15 à 16% ce qui est relativement stable. Par contre on constate une augmentation importante du nombre personnes vivant sous le seuil de pauvreté qui échappent aux indicateurs et ne sont pas captés par les statistiques. Notamment les populations de rue, les femmes dépendantes de leurs conjoints, et les jeunes NEET (ni étudiant, ni employé, ni stagiaire) qui passent sous les radars des institutions qui ne sont tout simplement pas en contact avec les institutions et qui donc ne sont pas pris en compte. Ce sont de grands réfractaires sociaux et que les politiques sociales n'arrivent plus du tout à capter parce qu’elles sont de plus en plus rigides, basées sur l'activation, donc sur des contraintes, qu'une parties des gens n'acceptent plus. Ces personnes se retrouvent doublement contraints ; d’un côté on leur demande de trouver un emploi alors qu’ils n'ont pas du tout les qualifications, de l’autre ils sont directement contraints par les structures et institutions. On observe par exemple qu’énormément de jeunes ont droit aux aides du CPAS mais n’en font pas la demande. On peut également citer les détenus qui ont droit à des congés pénitenciers mais qui vont à fond de peine. La méfiance vis à vis des institutions, y compris sociales est en expansion. Toutes les nouvelles mesures ou législations en matière de chômage ou de CPAS ne vont pas réduire la pauvreté, elles visent juste à réduire l'écart entre les populations et les dispositifs.
Comment mesure-t-on la pauvreté ?
Tout d'abord il y a des indicateurs statistiques. S’il y a bien un indicateur qui est accolé au mot pauvreté c'est le seuil de pauvreté, un indicateur économique. On voit bien que nous sommes plus dans une société où cette pauvreté devient de la précarité. La pauvreté telle que représentée dans les recherches c'est une question de statistiques, alors que pour la précarité c’est plus de l’ordre du ressenti. C’ est à la fois dans le fait d'avoir peu, mais en plus d'avoir peur de perdre ce peu, parce qu'on ne sait pas ce que l'avenir réservera. Ce qui est à mesurer n’est pas que socio-économique, on peut l’aborder sous différents angles : la précarisation familiale, de la santé physique ou mentale…
Les mesures pour l’emploi sont-elles un bon moyen de lutter contre la pauvreté ?
Oui, mais ça dépend quel emploi, il y a des emplois qui ne sont pas durables et soutenables. Ça dépend des conditions de travail, ça dépend aussi si l’emploi est adapté aux qualifications. Si on multiplie les intérims et les petits boulots qui échappent complètement au droit du travail, si on prend en compte les titres services, où les femmes qui ont des temps partiels avec des salaires extrêmement bas, les emplois avec des déplacements constants ou un boulot très dur physiquement, l'accès à l'emploi ne permet pas de sortir de la pauvreté.
La lutte contre les inégalités est-elle avant tout une responsabilité politique ou bien la société civile a-t-elle aussi un rôle à jouer ?
Les deux, mais c'est avant tout une responsabilité politique. Puisque ce sont les politiques qui vont permettre à la société civile de subsister. Il suffit de voir les difficultés financières dans lesquelles se trouvent certaines structures, services publics ou associations. Leur marge de manœuvre est faible quand il n’y a pas de subsides publics. Donc bien sûr que les associations ont un rôle à jouer mais elles doivent pouvoir vivre et ne peuvent uniquement reposer sur du bénévolat.
Peut-on envisager la transition écologique en laissant de côté la question sociale ? Peut-elle avoir lieu sans toucher au pouvoir d’achat des plus défavorisés ?
Non évidemment, on ne peut séparer les deux. Prenons le logement social, si les gens se retrouvent dans des situations d'habitats délabrés, indignes, mal isolé, la consommation d'énergie va être immense. Nous ne pouvons travailler notre empreinte écologique que si nous en avons les moyens.
Selon vous, y a-t-il des solutions pour mettre fin à la pauvreté, ou tout au moins la diminuer en Belgique ?
Pour la pauvreté, on peut toucher au seuil de pauvreté en augmentant les allocations, mais ce n'est qu'une des dimensions du problème. Si maintenant on parle de la précarité, il faut agir sphère après sphère, il faut sortir des généralités et se pencher sur des exemples particuliers. Se poser la question de manière générale, c’est aussi abstrait que de se demander comment accéder au bonheur Si par exemple on veut traiter la précarité familiale, il faut mettre en place des politiques qui permettent une coparentalité efficace par exemple, qui soutiennent autant le rôle des mères que des pères. Si on s’intéresse à la précarité de l'emploi, il faut une politique de l'emploi qui soit durable. Et ainsi de suite il faut vraiment prendre toutes les sphères sociales touchées par la précarité et voir, à partir de l'expérience des gens, quels sont les leviers qui pourraient améliorer la condition.
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