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Entretien avec Henri Goldman sur l'importance du vivre ensemble après Auschwitz

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Le mercredi 29 janvier 2020, Fedactio et IDP se sont entretenus avec Henri Goldman dans le cadre des commémorations des victimes de l’Holocauste, et du 75e anniversaire de la libération du camp de concentration et d’extermination nazi d’Auschwitz-Birkenau. Monsieur Goldman revient sur le drame qui a touché sa famille et l'importance du dialogue et du vivre ensemble dans notre société.
Propos recueillis par Alexandre Thiry et Ludmila Malai.


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Monsieur Goldman bonjour. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots et nous parler un peu du drame qui a touché votre famille ?

Je suis né ici en 1947. Je suis donc né après tout ça. Je ne sais de toute l'histoire dont on va parler que ce qu'on m'a raconté. Mais je l'ai vécu de façon assez intense à travers des situations familiales compliquées. Je dois remonter d'une génération. Mes parents sont des juifs polonais, nés de familles qui étaient là-bas depuis toujours. Ils sont originaires de deux villes toutes les deux à peu près à 50-80 km de Varsovie. À cette époque il y a environ 3 millions de juifs en Pologne. Entre les deux guerres, les juifs font face à deux types de difficultés. D'abord une misère socio-économique parce que le pays traverse une crise. Nous sommes après la crise de '29 mais ce ne sont pas de base des pays très prospères. Et puis il y a une tradition antisémite qui devient vraiment insupportable avec la montée du nationalisme polonais qui organise des boycotts : "n'achetez pas chez les juifs." Comme la situation est difficile, on envoie des enfants à l’étranger. Mes parents, qui ne se connaissent pas encore, viennent en Belgique comme migrants économiques, mais aussi pour fuir l'antisémitisme. Puis arrive la guerre. Vous connaissez le nazisme et ses lois raciales, que les juifs sont persécutés en Allemagne. Au printemps 1942 entre en œuvre ce qu’on appelle la Solution finale. Il y a un peuple en trop sur la terre ; on ne doit pas seulement le discriminer, le battre, l’emprisonner, mais on doit l’exterminer. Un décret de l'occupant ordonne à tous les juifs de se présenter à la caserne Dossins à Malines pour... aller en Allemagne dans un camp de travail, enfin on ne leur dit pas vraiment pourquoi. Ce qui est important c'est que ça ne concerne que les juifs étrangers à l'époque, et donc l'occupant va obtenir une forme de collaboration ambiguë avec les juifs belges en leur disant "vous ne risquez rien du tout, mais vous devez nous aider". Et va se mettre en place, comme aux Pays-Bas ou en France, des associations de juifs nationaux. L'arrestation de mon père est arrivée assez tard, je n’en connais pas les détails, il va être déporté en février '44. Quant à ma mère, elle va être déportée en janvier '44, presque à la fin de la guerre. Quand en 1942 tombe la décision de déporter les juifs étrangers, elle va immédiatement contracter un mariage blanc pour devenir Belge. C'est un procédé que beaucoup de migrants ont utilisé pour avoir une sécurité de séjour. Une fois devenue belge, elle va entrer dans la Résistance et c'est seulement au mois d'octobre 1943 que la déportation va concerner les juifs belges également. Elle va alors plonger dans la clandestinité et être arrêtée par dénonciation quatre mois plus tard. Tous les deux vont aboutir au camp d'Auschwitz où arrivait le train qui partait de Malines. Mon père va être déporté avec sa femme et le plus jeune de ses trois enfants et quand ils vont arriver à ce qu'on appelle la rampe à Birkenau, cette célèbre photo d’un train qui arrive en gare au terminus. On y trie les gens à leur arrivée ; ceux qui peuvent encore travailler comme esclaves rentrent dans le camp, et ceux qu'on considère comme inutiles vont immédiatement à la chambre à gaz. C'est ce qui s'est passé avec la femme de mon père et le plus jeune de leurs enfants. Les deux autres enfants étaient pendant ce temps-là cachés dans des familles belges. Quand à ma mère elle est rentrée dans le camp, c'était une petite bonne femme, elle ne mesurait même pas 1m50, mais était vigoureuse. J'ai appris quelques années avant sa mort qu’elle était arrivée enceinte au camp au camp d'Auschwitz, qu’elle y avait accouché et avec des amies qui travaillaient à l'infirmerie elles ont euthanasié cette petite fille qui était en pleine santé pour éviter qu'elle ne fasse l'objet des expériences médicales du docteur Mengele, un criminel de guerre. Mon père a par la suite été transféré au camp de Dachau. D'une certaine façon c'était une chance parce que c’est un pur camp de travail, sans chambres à gaz. Lui a été libéré par les Américains, tandis ma mère restée jusqu'au bout au camp d'Auschwitz et quelques jours avant l'arrivée des troupes soviétiques a commencé ce qu'on a appelé les marches de la mort. Il restait à ce moment-là environ 100.000 personnes au camp d'Auschwitz et les Nazis les ont pris avec eux dans leur retraite. C'était en janvier en plein hiver, il gelait et cette caravane de pauvres gens est remontée vers l'Allemagne. Il a fallu plusieurs mois pour qu’ils puissent tomber sur des Français ou des Américains qui les ont rapatriés. Mes parents se sont rencontrés après la guerre. J'ai eu la chance d'avoir une mère extraordinairement vivante, pour qui la vie continuait tout comme la lutte contre le fascisme. Elle m’a poussé à m'engager dans la vie et a fait de moi, j'espère, un homme équilibré et plutôt optimiste.


Peut-être brièvement un mot sur qui est Henri Goldman d'aujourd'hui, sur votre travail et vos engagements ?


Ce contexte a fait que j'ai toujours été quelqu'un d'engagé politiquement et socialement. À cause de cette histoire familiale, le noyau dur de mon engagement tourne autour du refus du racisme. Plus que ça, il y a aussi la reconnaissance de la diversité culturelle. Je suis très heureux d'habiter Bruxelles qui est une ville où aujourd'hui encore la majorité des gens sont ou étrangers ou d'origine étrangère. C'est une richesse extraordinaire de ne pas avoir une culture de référence. Et ce n'est pas un hasard si sur les 695 conseils communaux que nous avons élus, il n'y en a pas un seul d'extrême droite. C’est unique dans le paysage européen. Quand vous voyez ce qui se passe en Flandre, en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Angleterre, en Italie en Espagne, on observe partout l’émergence de partis de masse. Je crois que c'est grâce à l’identité "cosmopolite" de Bruxelles que nous n'avons pas ça. Ça montre bien que plus de diversité culturelle amène à plus de démocratie et d'ouverture. À côté de ça j'ai un diplôme d'architecte, mais j'ai fait six métiers dans ma vie, autour de la musique, autour du journalisme, de l'écriture, de la mise en page... (Ndlr : Monsieur Goldman est actuellement rédacteur en chef de la revue "Politique").

Ce lundi 27 janvier nous commémorions les victimes de l'Holocauste avec l'accent mis cette année sur le 75e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz. Selon vous qui est responsable de ce qui arrivé au peuple juif ? Est-ce uniquement la faute du régime nazi ou y a-t-il une responsabilité plus collective ?

Il y a une responsabilité collective qui est historique, puis il y a des responsabilités politiques beaucoup plus précises. Les juifs sont la seule minorité non-chrétienne qui existe de longue date un peu partout en Europe, du Portugal à la la Russie, de l'Angleterre jusqu'en Bulgarie. Et c'est sur les juifs que le besoin d’exprimer une différence s'est focalisé. Pendant une longue période on a enfermé les juifs dans une fonction économique extrêmement précise. Si les juifs sont devenus usuriers, c'est parce qu'ils n'avaient pas le droit de posséder de la terre à une époque où la société vivait de la terre. En leur interdisant d’être propriétaires terriens, on les obligeait à avoir de petites fonctions commerciales. Et puis quand une bourgeoisie s'est développée en Europe occidentale, ils ont été repoussés vers l'est. Ils ont vécu des pogroms, des interdits professionnels, des numerus clausus à l'université quand on a commencé à pouvoir étudier, etc. Il y a structurellement dans la société européenne le besoin d'avoir un bouc émissaire permanent, et à une époque où on n'a pas d'Arabes, pas de noirs encore, ça tombe sur les juifs. Maintenant il y a des événements beaucoup plus conjoncturels qui ont précipités l'Europe dans la guerre. L'avènement du nazisme n'est pas unique, on voit cette époque l'arrivée de régimes nationalistes autocratiques à beaucoup d'endroits. La question de savoir pourquoi dans cette guerre un génocide a pris une place pareille, est quelque chose de très difficile à expliquer et à comprendre. Ça n'est pas logique. C'est logique éventuellement qu'un régime autoritaire criminel transforme toute une population en esclaves, mais ce n'est pas logique que de façon industrielle on décide de la liquider. D'autres pays ont connu des génocides, comme celui des Arméniens ou celui des Tutsis, qui sont les deux autres grands génocides qui sont répertoriés. Ça s'est fait de façon planifiée, mais ça ne s'est pas fait de façon industrielle comme pour les juifs. C'est ça qui est assez unique. Comment un peuple qui est considéré à ce moment-là comme un des plus civilisés... comme le peuple de Goethe, de Schiller, de Karl Marx, de Freud, d'Einstein, etc. Comment un peuple parmi les plus évolués d'Europe peut à un certain moment oublier sa culture pour fabriquer ça ? Ce ne sont pas les moins civilisés qui sont capables des crimes les plus barbares.

Cette année de nombreux responsables de la communauté musulmane ont participé aux commémorations d'Auschwitz. Pensez-vous que le dialogue entre les différents groupes peut être un remède contre les idéologies radicales ?

Les musulmans ont beaucoup été accusés d'être les vecteurs d'un nouvel antisémitisme. Il est important de montrer que c'est pas vrai et qu’ils ont de l’empathie vis-à-vis de la souffrance des juifs. Il y a aussi de belles initiatives dans l'autre sens comme par exemple les iftars et expositions organisés par le musée juif de Bruxelles, qui sont un moment de partage extraordinaire. Il y a des éléments féconds. Il est important de noter qu’on assiste en même temps au développement de l'islamophobie et l'antisémitisme, et que c’est ensemble qu’il faut les combattre.

On constate aujourd'hui que les discours de haine progressent dans les sociétés européennes. À votre avis pourquoi est-ce qu'il y a tant de haine dans la société d'aujourd'hui ?

On sort d'une période appelée les trente glorieuses (1945-1975). Une période exceptionnelle pour l'Europe... même si elle coïncide avec l'âge d'or du colonialisme. C’est une période de croissance, il n'y a pas de chômage, les salaires augmentent régulièrement, les services publics s'améliorent, les retraites également, le gâteau de l'économie grandit tellement que tout le monde, patrons, comme travailleurs gagne plus. Et puis tout cela va s'arrêter à partir des années '75. On va encore faire semblant pendant 10 ans que tout va bien, que la situation va s’améliorer, puis on se rend compte que ce n'est plus le cas. Le chômage augmente de nouveau, les rapports de force sociaux se détériorent et petit à petit les gens se disent "je ne suis pas sûr que mes enfants vivront mieux que moi. Que faire ? À qui ?" Et à ce moment-là refait surface le vieux nationalisme en disant c'est la faute aux autres. On doit s'occuper de nos pauvres mais on ne peut pas le faire parce que tous les pauvres de la planète viennent nous envahir. Le nationalisme monte et s’axe autour du refus de l'autre, de l'étranger. La prospérité des sociétés capitalistes est en panne. On se rend bien compte que ça ne fonctionne plus, qu'on n'est plus capable d'assurer une augmentation régulière des classes moyennes. Il y a de nouvelles classes moyennes qui naissent dans le monde, en Chine ou en Inde, mais les classes moyennes en Europe se sont effondrées. Et sur cette base-là s'est développé un discours d'exclusion. L'économie libérale ne fonctionne plus et la gauche n'a pas réussi à imposer une autre forme de solidarité, du coup l'extrême-droite en profite. Elle se base sur ce vieux fond xénophobe qui existe dans toutes les sociétés où il y a une histoire nationale très puissante.

La polarisation de la société est très courante aujourd'hui dans nos sociétés occidentales, y compris dans les pays de l'Union européenne, et aux États-Unis qu’on dit de grandes démocraties. À votre avis est-ce un signe que la démocratie est en danger ?

Ce qu'on appelle la polarisation, c'est un effet de la rupture de solidarité. Pour qu’elle s’installe, il faut désigner une altérité et ça tombe toujours sur les populations d'origine étrangère, ou dans le cadre des États-Unis sur les minorités. Dire que les noirs américains ou les hispaniques, sont d'origine étrangère, oui, il y a très longtemps. Mais alors tous les Américains sont d'origine étrangère ! Tout ça n’est qu’une construction. En Europe ce discours a pris de nouvelles proportions avec les nouvelles vagues migratoires.

Malheureusement nous sommes toujours témoins de persécutions en 2020. Aux quatre coins du monde des personnes sont inquiétées pour leur appartenance ethnique, culturelle, politique, sexuelle... Après avoir posé ce diagnostic quelles sont les solutions envisagées ? Que manque-t-il pour assurer le respect des droits fondamentaux ? Est-on condamnés à voir l'histoire se répéter ?

Je crois qu'on est relativement condamné à renoncer à l'idée que l'histoire est linéaire et qu'elle va aller toujours vers plus de progrès. C’est ce qu'on découvre depuis quelques années et la crise écologique n’arrange rien. La spirale de consommation et de gaspillage va rendre la Terre invivable. Les sociétés humaines traverses un moment difficile. Si les populistes arrivent à se renforcer un peu partout, c'est bien parce qu’ on a désigné un bouc émissaire. Ils disent "eigen volk eerst", "notre peuple d'abord" et les autres qu'ils crèvent. Éric Zemmour à qui on demandait dans une émission française "qu'est-ce que ça vous fait que des jeunes meurent en Méditerranée ?" vient encore de déclarer "ça ne me fait rien du tout, ils ont pris leur risque. Je préfère qu’eux meurent plutôt que mes propres enfants". On en est là, on ne voit plus tellement comment s'en sortir. À côté de ça il y a beaucoup d'espoir qui viennent des mouvements de jeunes, toute la mobilisation pour le climat par exemple. C'est un pas en avant... Je pense qu'on a besoin d'un changement culturel profond pour considérer d'abord que les biens immatériels, la tendresse, l'amour... ont plus de valeur que le matériel. Cela dit, il faut au minimum de quoi se nourrir, de quoi s'habiller, de quoi se loger. Je ne compte pas tellement sur le monde politique pour initier un changement, mais plus sur le monde associatif. Comment convaincre des gens dominants, puissants, d'abandonner leurs privilèges ? C'est difficile. En général les gens qui ont des privilèges, ne les abandonnent pas de leur propre gré. Il faut souvent que des moins privilégiés leur arrachent. Toute l'histoire de l'émancipation humaine fonctionne comme ça. Si certains peuples africains ne s'étaient pas battus pour leur Indépendance, ils ne l'auraient pas eu. Si les femmes ne s'étaient pas battues pour plus d'égalité, et c'est pas terminé, rien n'aurait changé, ce serait toujours les hommes qui décideraient tout. Et si les travailleurs s'étaient pas battus pour obtenir des droits sociaux, ce n’est pas les capitalistes qui leur auraient donnés comme ça. Il faut accepter que la société est un enjeu de conflits, qu'il y a des luttes sociales, économiques, culturelles. Les groupes dominés doivent prendre leur destin en main. Ils doivent le faire évidemment d'une façon qui n'aboutit pas à un renversement des dominations. L'histoire de l'émancipation humaine n'est pas linéaire. Il y a eu des moments où nous avançons et d’autres où nous reculons.

Quelle place accordez-vous au dialogue interculturel dans la résolution des problèmes dont nous avons discuté ?

Pour moi, l'existence même d'une ville multiculturelle empêche une conception nationaliste des choses et oblige un peu à se décentrer soi-même. Je dois être capable de comprendre que c’est important pour une personne qui a une autre origine. Ça ne veut pas dire qu'elle doit rester enfermée dans ce qu'elle a reçu. Mais que c'est son point de départ et que si je veux faire de cette personne mon égale, je dois accepter que les bagages culturels de cette personne ont autant de valeur que les miens. La société dont je rêve vraiment, est une société où personne ne doit choisir entre la fidélité à son propre bagage, et le fait de faire société tous ensemble.

En parlant de société rêvée. Nous commémorions le 20 janvier dernier le Martin Luther King Day, à son instar quels sont vos souhaits, vos rêves peut-être plus précisément, pour les futures générations ?

Nous disposons d’une richesse incroyable qu’il ne tient qu’à nous de faire vivre. Elle va évoluer au fil du temps. Personne ne sait pendant combien de temps on reste Turc, Marocain ou Juif. Après combien de générations ça disparaît ou pas. Puis on se marie entre nous aussi, c'est des choses qui se passent. C'est en restant ouverts qu'on peut assumer notre destin de ville la plus cosmopolite d'Europe d'après toutes les statistiques, et qu'on peut être un petit un îlot de résistance par rapport à la montée du nationalisme identitaire. Voilà ce que je peux peut-être espérer pour l'avenir.
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