Dans le cadre de la Journée mondiale de la paix, Fedactio s’est entretenu avec Hamsi Boubeker artiste peintre dont l’œuvre toute entière est un message de paix et de tolérance. Du dialogue des cultures à son travail auprès des enfants, le parcours de Hamsi Boubeker nous éclaire sur la contribution de l’art à la paix.
Monsieur Boubeker bonjour. Merci de nous recevoir, vous êtes un artiste polyvalent, né à Bejaia en Algérie, vous vivez en Belgique depuis 1979. Pourriez-vous nous en dire plus sur votre parcours et ce qui a suscité votre carrière d’artiste ?
Monsieur Boubeker bonjour. Merci de nous recevoir, vous êtes un artiste polyvalent, né à Bejaia en Algérie, vous vivez en Belgique depuis 1979. Pourriez-vous nous en dire plus sur votre parcours et ce qui a suscité votre carrière d’artiste ?
La carrière d'artiste est venue comme ça par hasard mais avant d'être artiste on récolte déjà les fruits de l'art quand on est enfant. Je viens de la société kabyle où les enfants vivent proches des parents, de la famille des tantes. La fête y est toujours présente. Quand j'étais petit j’aimais beaucoup accompagner ma mère à des mariages parce qu'il y avait de la musique, on dansait, il y avait aussi des bonnes choses à manger. Pendant la guerre il y avait un couvre-feu, et ma grand-mère pour embellir un peu ces soirées qui étaient tragiques puisque on entendait les bombes qui explosaient, pour nous attendrir elle nous racontait des contes. Voici donc un fait culturel et artistique que j’ai vécu. Déjà à l'école maternelle, j'aimais beaucoup dessiner et quand je suis arrivé à l’école primaire, les cours que j'aimais le plus étaient ceux où on pouvait dessiner : la géographie, l'histoire, les sciences naturelles... Sans avoir une idée que plus tard j’allais devenir artiste, j’avais déjà des éléments que j'ai gardé en moi et porté jusqu'à l'indépendance [Ndlr 1962].
Durant la colonisation on n’avait que la maison, l'école et le quartier. Le reste, tout ce qui était culturel était occupé par les Français : le cinéma, le théâtre, les manifestations culturelles c’était les Français qui en profitaient. Nous on avait pas droit à tout ça, il n’y avait pas la télévision, la radio c’était un média bourgeois, même si mon père avait quand même une petite radio qu’il mettait de côté. Après l’indépendance j’ai pu découvrir pour la première fois qu’à Bejaia il y avait un conservatoire de musique. Je m’y suis inscrit et y ai fait mes premiers pas dans la chanson algérienne au sein d’une chorale. Par la suite j’ai rencontré Sadek El Béjaoui, j'aime beaucoup dire son nom, ce fut mon maître, un très grand maître qui a formé beaucoup de grands artistes d'Algérie.
De là je suis parti à Alger qui a été pour moi une école de la diversité par rapport aux artistes que j'ai pu y rencontrer qu'ils soient chanteurs, écrivains, auteurs de théâtre... Comme Kateb Yacine qui était un des plus grands auteurs de théâtre, des chanteurs comme Djamel Allam ou Idir, qui sont connus et reconnus. J'ai aussi eu la chance d'avoir comme directeur durant mon service civil Mouloud Mammeri qui était l’un des plus grands écrivains kabyles. Confronté à ces gens, j'ai porté en moi des connaissances, des valeurs humaines, artistiques, morales, citoyennes. Avec des gens comme ça on ne peut que construire le respect et la tolérance. Mais ces valeurs il ne faut pas oublier que ce sont les parents qui me les ont inculqués en premier lieu, ou plus exactement la famille élargie. Vous savez quand vous êtes dehors, si les parents ne sont pas là, c'est le voisin d'à côté, l'épicier ou le menuisier qui prend en charge l'éducation des enfants. Toutes ses valeurs, je les ai emmenées avec moi lorsque j’ai débarqué à Paris en 1978 où je devais faire un enregistrement dans une maison de disques destinée à la chanson kabyle. Au bout de 6 mois mon visa était périmé et je devais quitter la France. Je ne voulais pas retourner en Algérie parce que la vie en Algérie à cette époque était très difficile quand on était berbère kabyle et qu’on le revendiquait. On risquait la prison, les tortures. C'était le règne de ce qu'on appelle la politique d'arabisation à outrance. Encore aujourd’hui on continue de nous dire que nous sommes Arabes, que notre seule culture c’est l’arabe, la seule religion c’est l’islam. Et on efface toute une histoire, tout ce que nous sommes véritablement. À l'époque, je militais discrètement en faisant attention à la sécurité militaire. Aujourd’hui encore on découvre tout le mal qui s’est passé en Algérie après que les Français soient partis. Après l'indépendance c'est une autre forme de colonisation qu'on a eue, avec des gens qui ont pris le pouvoir, ont créé des clans et ont profité très largement des richesses de l'Algérie.
De Paris je suis venu à Bruxelles parce que j'avais un beau-frère qui militait avec le Front du Nord ; des avocats qui pendant la guerre aidaient les Algériens qui avaient des problèmes avec les Français, comme les condamnés à mort, à passer en Belgique et sur le plan juridique. Je pense notamment Serge et Henriette Moureaux. Ils m’ont donc envoyé en Belgique où je suis tombé sur certains membres de ce réseau. Et, comme si l’histoire recommençait, je suis arrivé avec un visa de 45 jours et ne voulais pas retourner dans mon pays. J’ai tenté de retourner en France où je comptais obtenir un visa une fois l’enregistrement de mon disque terminé, mais j’ai été refoulé à la douane française. C’était la loi dite Stoléru, qui demandait de refouler systématiquement toute personne du Maghreb qui tentait d’entrer en France. J’ai vu sur mon passeport un grand « R », pour refoulé. Et là fort heureusement le Front du Nord a trouvé une solution pour que je puisse rester vivre en Belgique en tant qu’artiste. Serge Moureaux qui m’a pris en charge. J’ai commencé à chanter, j’avais une guitare, c’était mon arme qui, comme dirait Kateb Yacine « ne tue pas mais fait vivre ». Je dénonçais le pouvoir tout en faisant connaitre la chanson kabyle qui était à la mode à l’époque. J’ai vite été adopté par les mass media, j’ai fait toutes les télévisions, les journaux, salles de spectacle et festivals de Belgique. À l’époque les gens étaient idéalistes, ils manifestaient, participaient à des fêtes de soutien. Quand on m’appelait pour chanter contre le racisme, les armes nucléaires, les femmes battues, je retrouvais autour de moi d’autres artistes latinos, africains, turcs, et toute une diversité porteuse d’un message de paix, de tolérance, de respect. C’est Bruxelles qui m’a permis de connaitre ces cultures, car en Algérie il n’y avait que les Algériens et le Français. Ici je voyais des gens qui croyaient en leur combat, qui allaient sur le terrain, ma vie en tant qu’artiste a commencé là.
À quel moment avez-vous eu le déclic et vous êtes-vous dit que vous seriez artiste ?
On ne choisit pas d’être artiste. Je dis toujours que je suis un artisan par un artiste. Aujourd’hui je suis artiste peintre et auteur de contes pour enfants. Je dis toujours que je suis l’homme le plus heureux au monde ; faire de l’art, c’est beau, c’est plein de couleurs, on raconte la vie des gens. Ma peinture « La Terre est mon village » c’est un peu mon enfance à travers la vie des Kabyles. L’art est un moment de convivialité et d’échange. Quand je chantais je rencontrais des racistes qui me disaient « toi tu n’es pas comme les autres car tu fais de belles choses » et je répondais que moi j’ai la chance de montrer de belles choses, mais qu’il y a des milliers de personnes qui ont des valeurs humaines, de la beauté dans leur façon de parler, de créer, et peut-être qu’ils n’ont pas eu la chance de la voir. Le racisme c’est ne pas connaitre l’autre.
Quand je rencontre des gens c’est comme si la terre n’avait pas de frontières et que nous pouvions vivre ensemble. À travers l’art, il y a plus de choses qui nous ressemblent que de choses qui nous distinguent, et tout ce qui nous ressemble nous rassemble.
La peinture m’a aidé à replonger dans mon enfance que j’ai toujours aimée malgré la guerre. Quand je peins une scène de mariage, j’essaie de m’imaginer les femmes qui chantaient avec leurs beaux habits, les bijoux, les gâteaux qu’on distribuait, toute cette convivialité… pour le jardin la cueillette des olives, tout ça ce sont des instants de bonheur que je revis à travers mes œuvres et souhaite partager avec mon public. Quand on parle de l’art on parle de bien-être, de bonheur, de vivre-ensemble.
Vous êtes aujourd’hui bien connu des Bruxellois pour vos Mains de l’espoir qui ornent entre autre la station de métro Lemonnier, pourriez-vous nous en dire plus sur la symbolique de cette œuvre ?
La main dans la culture berbère a un pouvoir. On dit que quand on tend la main avec ses cinq doigts ouverts c’est pour rejeter le mal, le mauvais œil. À l’époque les femmes mettaient l’empreinte de leur main au henné au-dessus de la porte de la maison. Quand un enfant nait, on lui dessine également une petite main sur la poitrine pour le protéger. Si la main a une symbolique positive, elle peut aussi faire du mal, elle peut frapper, mettre le feu… mais moi j’ai choisi le bien. J’ai choisi la main ouverte comme motif de la paix dans le monde et du respect des cultures.
J’ai commencé en 1994 à partir du calque de la main pour écrire un message de paix et de tolérance. J’ai organisé un travail didactique, en parlant de paix avec des enfants dans les écoles. Je leur disais « vous allez construire le monde de demain et c’est vous qui allez pouvoir arrêter les guerres ». Après discussion, je leur demandais d’illustrer un message de paix. Pour les enfants qui dessinent c’est une partie de leur corps qui est représentée et ils pensent inconsciemment que la main qu’ils vont mettre a le pouvoir d’arrêter les guerres. Cette opération a eu un succès énorme, elle a été organisée dans 82 pays et lors de nombreux rassemblements.
Puis l’idée a été de travailler avec différentes catégories sociales. J’ai organisé des rencontres entre des enfants et des personnes du troisième âge. C’était important car justement certaines personnes ont connu la guerre, et elles racontaient ce qu’elles avaient vécu. Ensemble ils ont fait de magnifiques dessins. Ensuite j’ai travaillé avec les personnes handicapées, puis dans les prisons. On a fait un travail avec des détenus et leurs enfants où j’ai demandé que les détenus illustrent le calque de main de leurs enfants et vice-versa. Ce travail est aujourd’hui exposé dans la salle des visites de la prison de Saint-Gilles. Je suis allé dans des écoles réputées difficiles et obtenus des résultats extraordinaires parce que ces jeunes parfois issus de pays en guerre se sentaient touchés par le message. Différentes personnalités se sont associés aux Mains de l’espoir, le prix Nobel de la paix Adolfo Pérez, madame Mitterrand, l’Abbé Pierre, des artistes comme Folon, Adamo, beaucoup de chanteurs, d’acteurs sont venus laisser le calque de leur main avec un message de paix et de tolérance. Beaucoup d’associations et d’enseignants sont devenus les ambassadeurs de la paix, en demandant à des personnalités de participer au projet en entrant dans la ronde universelle.
J’ai remarqué à l’époque que la journée de la paix était une journée flottante et qu’il était nécessaire de la stabiliser afin que le 21 septembre, partout à travers le monde les gens puissent organiser des évènements autour de la paix. J’ai obtenu un rendez-vous en 2001 aux Nations Unies auprès de l’épouse de Kofi Hannan afin d’aller accompagné des enfants déposer une requête, pour que la journée de la paix soit stabilisée. Alors que tout était prêt, nous avons été confronté aux attentats du 11 septembre. Avec le massacre des deux tours, c’est tout un travail qui a été détruit. J’étais moralement perdu et il m’a fallu du temps pour reprendre les Mains de l’espoir. Petit à petit je l’ai délégué aux associations. Plus récemment j’ai repris contact avec l’ONU pour qu’on reconnaisse que la Journée internationale de la paix a été stabilisée par l’artiste Hamsi Boubeker grâce au projet porté par tous ces enfants, j’attends leur réponse.
Plus récemment vous avez été désigné membre du Jury international du concours Paix organisé par l’UNESCO. Comment pensez-vous que l’art puisse contribuer à la paix ?
J’ai été désigné par le secrétariat belge auprès de l’UNESCO en tant que juré d’un concours de dessin autour de la paix. Je vais me retrouver avec de grandes personnalités avec qui nous discuterons de ce sujet.
Selon moi l’art peut contribuer à la paix par les rencontres. Comme je dis souvent « si tu veux la paix prépare l’enfance ». Moi pendant la guerre mes parents me parlaient de respect, de tolérance… pendant la guerre, pendant que des gens se faisaient tuer. Si on ne va pas vers les enfants pour les laisser s’exprimer, pour les faire participer à un projet autour de la paix et du respect, que ce soit dans les écoles, dans les associations, à la maison… on va rater une très belle occasion d’avoir une jeunesse qui soit véritablement soucieuse de ce que va devenir la planète de demain. L’art c’est quelque chose de beau, dénué de méchanceté ou d’agressivité. Sur les dizaines et des dizaines de milliers de dessins des Mains de l’espoir, je n’ai jamais vu un dessin où il y avait du sang, des barbelés... C’est toujours, le soleil, les fleurs, la main dans la main, les couleurs… L’art nous ouvre ses portes pour qu’on y pénètre avec confiance. Et une fois qu’on est dans le monde de l’art, la convivialité se crée ; les gens deviennent sereins, ne font plus d’amalgames. Notre but commun c’est de voir une terre apaisée, sans guerres, sans catastrophe climatique. L’art peut créer des ponts, véhiculer un message dans son expression la plus tendre, la plus parlante. L’art est un bel habit qu’on porte, une arme qui ne tue pas mais fait vivre.
En parlant de jeunesse, vous participez aussi chaque année au jury du concours de dessin « L’Art du vivre ensemble » organisé par Francolympiades avec le soutien de Fedactio. Est-ce important en tant qu’artiste de soutenir la jeunesse ?
Ça fait maintenant la 8e année que j’y participe et je salue l’initiative. J’ai toujours félicité Fedactio et Francolympiades pour ce travail à l’échelle nationale d’aller dans les écoles, auprès des jeunes et de travailler sur des thèmes comme la paix, le vivre ensemble, la liberté, etc. La grande finale c’est un peu la fête des enfants, les gens sont heureux, on échange, on partage. Je retrouve un peu ce travail des Mains de l’espoir dans cette ambiance conviviale.
Vous qui avez vécu des deux côtés de la Méditerranée, quel message souhaitez-vous faire passer à partir de votre expérience ? Qu’est-ce que le dialogue des cultures a à nous apporter ?
J’aimerais bien qu’il y ait un grand pont entre l’Algérie - l’Afrique - et l’Europe et que ce pont puisse servir à nous rencontrer, à échanger, nous rapprocher. Dans le passé la Méditerranée était un pays. Du temps des Romains on parlait plus des villes qui l’entoure. Aujourd’hui cette Méditerranée a été délaissée et est devenue comme un gouffre. D’ailleurs nous assistons presque chaque jour à des gens qui veulent fuir et qui meurent en mer. Ces gens vivent dans leurs pays la misère, des régimes cruels qui bouffent l’argent du peuple et ils traversent la mer à la recherche du bonheur. J’aimerais rapprocher les deux continents et dire que nous sommes avant tout des êtres humains. Khalil Gibran disait « la terre est ma famille et l’univers ma patrie », moi je dis « la terre est mon village ». Tout le monde a à gagner à dialoguer. Aujourd’hui nous sommes plus de 90% à ne pas vouloir la guerre, il n’y a que les vendeurs d’armes, les militaires qui construisent des armes, les vendent et les mettent entre les mains de bourreaux comme on le voit au Yemen actuellement. Il faudra arriver à convaincre notre jeunesse à continuer à militer pour la paix.
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